L’enfant endormi
De : Yasmine Kassari Avec : Mounia Ousfour, Rachida Brakni, Nermine Elhaggar.
Sortie France le : mercredi 28 décembre 2005
Maroc/France/Belgique, 2004, 1h35.
Meilleur Film Européen à la Mostra de Venise 2004. Grand Prix du Festival de Tanger 2005. Prix Signis au Festival de Séville 2005.
Un très beau film qui raconte avec une écriture moderne et poétique, la détresse ancestrale des femmes abandonnées dans les chimères des hommes. |
Dans ce film, tout est dit avec de très belles images, sans trop de mots mais avec la force du ressenti, une violence salutaire. Tout est effroyablement juste. Ainsi la jeune réalisatrice marocaine Yasmine Kassari peut dire, des hommes de son film, qu’ils « sont hors-champs ». Car effectivement dans L’enfant endormi, les hommes n’existent que par leur absence. Ils ont désertés les champs de leurs pères pour aller poursuivre des chimères incertaines en Europe. Derrière eux, ils laissent des femmes, mères, épouses, grands-mères ou filles, toutes abandonnées, n’ayant pour seul horizon et unique avenir que des grains de blé maigres à moudre avec le chagrin et l’attente interminable.
L’enfant endormi du titre est une coutume du Magreb où les femmes enceintes « endorment » leur bébé à naître pour les réveiller quelques mois ou quelques années plus tard, quand la situation est meilleure. Ici, c’est Zeinab, toute jeune mariée qui n’a vu son époux que le soir de ses noces, avant qu’il ne parte pour l’Espagne, qui fait endormir son enfant, pour « faire revenir » le père. Mais on pourrait croire que l’enfant en question symbolise autre chose, peut être le Maroc tout entier, coincé entre des traditions séculaires et les mirages économiques de l’Occident qui poussent sur les routes et sur la mer des milliers d’hommes. Ces absents envahissent avec une cruauté assourdissante la vie de celles qu’ils laissent au village, éperdues d’espérance et de frustration.
Certaines femmes osent la révolte, comme la trop belle et trop délaissée Halima, bientôt broyée par sa belle-famille. Mais y a t-il une issue pour ces femmes illettrées qui perpétuent aussi leur propre enfermement sur les génération suivantes ? Halima ne sait pas voir le seul homme qui reste dans le champ et qui, lui, est revenu des mirages européens. Il a laissé derrière lui sa part de rêve et ne broie plus que des olives.
Avec ce premier long métrage, Yasmine Kassari entre dans la cour des grands. Elle décrit, avec une écriture splendide et raffinée, un monde cruel et âpre où la terreur, la sensualité, la révolte et la douceur se heurtent constamment, comme sous les voiles des femmes. Ce qui pourrait n’être qu’un conte cruel et poétique est aussi une courageuse dénonciation du Maroc contemporain.
L’enfant endormi a reçu le prix Signis au Festival de Séville en novembre 2005.
Magali Van Reeth |
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